Démocratiser la monnaie sans passer par les banques

La politique de « Quantitative Easing (QE) » (assouplissement quantitatif) menée depuis deux ans par la BCE profite aux marchés financiers, sans assurer la croissance nécessaire.

Interview de Stanislas Jourdan, coordinateur du Mouvement international pour la réforme monétaire et une orientation plus démocratique de la création monétaire de la BCE.

D’où vient cette campagne européenne pour une politique d’assouplissement quantitatif de la création monétaire au service des populations européennes, que devrait mener la BCE ? Avec quels soutiens ?

L’initiative a été lancée par l’association britannique Positive Money il y a un peu plus d’an an, avant le Brexit. Elle a reçu le soutien d’une vingtaine d’ONG européennes, dont la fondation Nicolas Hulot ou le mouvement SOL, avec l’idée de démocratiser à travers la BCE une création monétaire qui ne passerait pas par les banques. Depuis deux ans, la BCE mène une politique de « Quantitative Easing (QE) » en rachetant des dettes des États (80 %) et des entreprises (5 %) d’autres actifs financiers (15%) pour que le secteur financier se remette à prêter et que la croissance reparte. Dans les faits, cette politique, qui pèsera 2 300 milliards d’euros fin 2017, est inégalitaire et largement inefficace. Un État comme la Grèce en est exclue par exemple, et le volet des obligations d’entreprise profite essentiellement aux grandes entreprises cotées qui voient leurs dettes rachetées par la BCE.

Certes les conditions de crédit se sont améliorées, mais la capacité d’endettement des citoyens et des entreprises est limitée. Le point positif est que cela fait baisser le taux d’endettement des gouvernements, leur permettant en théorie de relancer l’économie via la dépense publique. Mais encore une fois, cet effet est neutralisé parce que les États européens n’ont pas le droit de faire de la relance budgétaire. Au final, la croissance n’est pas au rendez-vous en dépit de cette politique, et le taux d’inflation reste très faible.

La BCE n’a pas le droit de donner de l’argent aux États. En quoi cet assouplissement monétaire serait-il un moyen de contournement, notamment à travers la « monnaie hélicoptère » ?

La meilleure des solutions pour rapidement relancer la consommation serait que la création monétaire de la BCE puisse alimenter directement les comptes bancaires de tous les citoyens européens. Plutôt que d’injecter 2,300 milliard d’euros dans les marchés financier, cela pourrait se traduire par l’injection de 1 000 € pour tous les citoyens européens adultes, de façon ponctuelle, en fonction du besoin. La BCE pourrait simultanément financer les banques publiques des différents États sur des stratégies à plus long terme, en matière de transition énergétique par exemple.

Quels sont les freins et en quoi votre action vise-t-elle à les lever ?

Rien dans les Traités n’interdit à la BCE de distribuer de la monnaie directement aux citoyens. Mais les banquiers centraux pensent qu’ils n’ont pas la légitimité politique pour le faire. Il y a de plus en plus de discussions sur ce sujet au sein de la BCE qui est bien consciente que les outils monétaires classiques fonctionnent de moins en moins. Il faut désormais que la BCE affirme sa légitimité politique à orienter une partie de la création monétaire vers les peuples, sans pour autant empiéter sur les prérogatives des gouvernements.

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